Côte d’Ivoire : le village d’Elima, une richesse patrimoniale élidée

Article : Côte d’Ivoire : le village d’Elima, une richesse patrimoniale élidée
Crédit: Jeff Amann_Libre Tribune
23 mars 2022

Côte d’Ivoire : le village d’Elima, une richesse patrimoniale élidée

Village centenaire éhotilé, à quelques lieues de l’embouchure de la célèbre et opulente station balnéaire Assinie, au sud de la ville d’Adiaké, en Côte d’Ivoire, le village d’Elima ploie sous le poids de son lourd et emblématique patrimoine. Historiquement riche mais économiquement asséchée, au grand désarroi d’un peuple en quête de reconnaissance, et en reconstruction identitaire. Voyage ! Voyage au cœur d’Elima, cité lagunaire à la richesse élidée, autant que la lagune Aby (appauvrie) qui nous y conduit, à bord d’une embarcation à moteur, couleur méditerranée.

Les cheveux au vent, le regard inquisiteur face aux flux incessants du flot ondoyant, oscillant avec grâce vers l’horizon, là où la voûte céleste et le lagon s’embrassent tendrement. Quarante-cinq minutes plaisantes d’évasion et de ronronnements à 12 km/h, avant d’amarrer notre pinasse à quai et retrouver Assouhou Ahiko, le guide cinquantenaire, unique gardien incontestable de la mémoire d’Elima, porte d’entrée de la civilisation moderne en Côte d’Ivoire.

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Elima est en effet le village qui a porté dans les entrailles de sa terre, les fondations de la première école ivoirienne en 1882. Une école témoin qui se résumait en une seule salle de classe, bâtie sur instruction de la France, pour marquer sa présence sur le territoire ivoirien, et contrer ainsi la progression des anglais. « Sous la menace d’occupation par les Anglais basés au Ghana du territoire ivoirien, Arthur Verdier informe la France de la progression vers Elubo* du concurrent européen. Il lui est instruit la construction d’une école et d’y hisser le drapeau français. Ce qui fut fait en 1882 par le négociant français, venu à Elima en tant qu’exploitant forestier. L’école avait un effectif de 20 élèves au départ, a évolué jusqu’à 33 apprenants. A ce jour, il n’en reste qu’un pan du mur de ce qui fut la première école ivoirienne », raconte Ahiko, le visage grave, la voix enrouillée et le regard mélancolique rivé sur les vestiges de ladite école, désormais encastrés dans un sous-bois verdoyant.

Position géographique d’Elima – Google Map
Vestige de la première école ivoirienne – Jeff Amann_Libre Tribune

Rayé de la carte

Officiellement ouverte en août 1887 avec l’arrivée de l’instituteur Fritz-Emile Jeand’heur, l’école a fonctionné pendant trois ans avant d’être transférée à Assinie, en 1890. Ce transfert opéré par l’explorateur Marcel Treich-Laplène sonna le glas de l’école à Elima. Rayé de la carte scolaire jusqu’à 2014.

Plus d’un siècle plus tard, l’unique école de ce village symbole à l’abandon, est le fait d’un don de la Banque mondiale et de MTN Côte d’Ivoire. Les deux organisations ont chacune offert gracieusement un bâtiment de trois classes la même année pour l’éducation des enfants. A travers un « Projet d’urgence d’appui à l’éducation de base » pour la première citée.  

L’an dernier, un effectif de 137 élèves s’y retrouvaient pour recevoir l’instruction et assoir leur éducation scolaire, en dépit du manque criard de matériel didactique et du déficit saisissant d’enseignants. Trois instituteurs titulaires s’organisent tant bien que mal pour tenir les six classes, appuyés dans leurs tâches pédagogiques par deux bénévoles, au compte du Comité de gestion (COGES), confronté à des problèmes récurrents de trésorerie. Le tableau est éloquent !

Des élèves de EPP Elima – Jeff Amann_Libre Tribune

Le démantèlement

Comme une voyelle muette en fin de vers dans une poésie, Elima souffre de l’élision de son riche patrimoine historique. Depuis, sa lumière qui s’est éteinte peine à se raviver et à donner de l’éclat pour son développement. Pourtant le français originaire de La Rochelle, Arthur Verdier, l’avait à l’époque mise sur les rails.

En plus de la première école construite, Elima a accueilli sur les rives de la lagune Aby, les premières locomotives de Côte d’Ivoire, ainsi que la première unité industrielle de transformation du café et vu sortir de ses terres en 1870, le premier édifice moderne avec des matériaux importés.

Si l’on en croit le guide, dépositaire de l’histoire de la petite cité lagunaire de parsemé de cocos nucifera interminables et de touffes de verdure florissante, où se côtoient quelque 800 âmes autochtones et allogènes, tout ce patrimoine était visible et bien conservé jusqu’en 1971.

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« Un matin, un ferrailleur du nom de Sandôkô s’est présenté avec un document l’autorisant à démanteler les installations. Pendant trois années consécutives, il s’appliqua méthodiquement pour réussir sa mission de démantèlement. Pendant trois ans, des allers-retours incessants de camions ont transporté par voie terrestre les pièces détachées de l’âme d’Elima », explique un Ahiko fulminant, le front ébène perlé, scintillant de mille feux, sous le doux coucher du soleil. De même que les amas de fer tiède, qui se remettent des assauts des faisceaux lumineux de plomb du midi.

Les décombres de ferraille massif jonchent en effet encore le site, témoins inanimés d’une période faste et des jours heureux. Aujourd’hui, ils subissent impuissants à leur disparition programmée et définitive, à la merci des intempéries et de la rouille. Logés à la même enseigne que « La Maison blanche d’Elima », l’emblématique résidence de Verdier, qui a offert gîte et couvert, l’instant d’un voyage, à bien d’explorateurs, administrateurs coloniaux français. On ne citera certainement pas Louis-Gustave Binger.

Décombre de l’unité industrielle de transformation de café d’Elima – Jeff Amann_Libre Tribune

 « La belle endormie »

La célébration du centenaire de l’école à Elima en 1994 et la visite en 2002 de l’UNESCO n’auront pas suffi pour le repositionnement « La belle endormie » sur l’échiquier des sites historiques et touristiques du pays. Contrairement au Ghana, la ville de Cape Cost, où vu a été construite la première école dans la même période que celle de son voisin ivoirien, abrite aujourd’hui une université, une des plus grandes du pays.

Un phénix qui par sa grandiose renaissance suscite des questionnements à l’endroit de l’Etat ivoirien, et en premier aux natifs de ce village, sur leur relation à la mémoire dans la culture des peuples et l’édification de la nation. Pourquoi rien n’a été fait pour la conservation de ce riche patrimoine historique qui déchoit inexorablement vers l’infini abîme ?

Cette question pourrait trouver réponse dans la gouvernance et de leadership à l’échelle du village. En dehors de la chefferie aucune organisation communautaire ou d’autodétermination n’existe pour impulser des actions la reconnaissance tant recherchée et pour l’identité culturelle retrouvée.

A ce propos, on pourrait légitimement interroger la dimension socio-anthropologique de la vie de ce peuple Ehotilé ou Bétibé qui parle désormais la langue agni, au détriment de sa propre langue, le bétiné, qui tend à disparaître, à leur grand désarroi.  Se nourrissant d’un espoir qui s’étiole, jour après jour.

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Arthur Verdier – Jeff Amann_Libre Tribune
La résidence d’Arthur Verdier – Jeff Amann_Libre Tribune
Les restes de « La maison blanche » – Jeff Amann_Libre Tribune
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Commentaires

Simone Konan
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Un voyage historique, à la lecture de cet article. Bel article. Félicitations!